Les petits chevaux de Tarquinia


C'est en 1953 que Marguerite Duras publie "Les petits chevaux de Tarquinia" trois ans après son grand succès Un barrage contre le Pacifique. A cette époque l'auteur multiplie les ouvrages, publiant quasiment un roman par an.

Couverture du livre Les petits chevaux de Tarquinia

Etude du livre

L'Italie et les rapports familiaux

"Les petits chevaux de Tarquinia", c'est le roman de vacances passées en Italie, au bord de la mer. Au bout d’une route, au pied d’une montagne, devant un débarcadère, un petit groupe de français, deux couples dont l’un a un enfant, retrouvent des amis italiens, une épicerie, un hôtel restaurant, un terrain de boules, une aire de bal, l’estuaire d’un fleuve, la mer, un paysage menacé par le feu d'un incendie de saison. Tout est torpeur.

La chaleur de l’été torride, le temps de vacances dont les vacanciers ne savent trop que faire, l’état des relations entre eux et au sein des couples. La torpeur et l’ennui de vacances dont ils espéraient tout sont les deux facettes d’une seule et même chose : que faire de soi et de la liberté ? Qu’être sans l’amour de l’autre ?

Ils attendent qu’une chose : la brise du soir. Ils espèrent qu’une chose : la pluie et sa fraicheur. Et puis l’amour, les femmes surtout et Sara en particulier. Dans le roman, un autre se développe, comme un lierre au tronc d’un arbre : le drame d’une mère et d’un père dont l’enfant, démineur, est mort déchiqueté par l’explosion d’une mine. Il a pour scène la montagne, au-dessus de la petite station balnéaire. Les parents ont ramassé ce qui reste de leur fils dans une boite, don de l’épicier, lui-même dans le deuil de sa femme. Ils ne parviennent pas à quitter les lieux. La torpeur du chagrin nourrit l’autre, celle des vacances.

La torpeur est ainsi perte de tous les repères sociaux qui organisaient ordinairement la vie de chacun des membres du groupe, et particulièrement la vie des couples et la représentation qu’ils ont de l’amour, des relations amoureuses. La torpeur est le vide de la vie, elle est la vacuité de l’existence quand la vie sociale ordinaire cesse de régler la vie de chacun et la question de sa vérité.

Seul l’amour d’une mère, Sara, pour son fils, échappe à l’emprise de la torpeur et de l’ennui. A la différence des autres relations, rien ne l’entame. Par ses nécessités, il détermine ce qu’elle, Sara, la mère, est et doit être.

La bonne aux amours faciles et sans histoire, est restée, malgré les vacances, prise dans l’étau de la relation sociale à ceux qui la paient. Elle échappe à la torpeur, à l’ennui, et à tout ce qu’ils déterminent d’errements existentiels. La torpeur, comme la relative liberté du temps des vacances, met ce petit monde dans un état particulier où seuls importent les sentiments, les relations affectives, l’amitié, l’amour et au-delà, le désir, le désir de l’autre, le désir d’être désiré, d’être objet de désir. Cette torpeur est, par ses effets, un dépouillement. Elle ramène chacun aux fondements de son être, aux assises de son existence : le désir, le manque, l’amour, la reconnaissance de son existence, le sentiment d’exister. Elle est déréliction. Elle rappelle à Sara cette autre nécessité de la vie, l’amour absolu.


Rôle de l'homme

Surgit "l'homme". L'homme apparait un jour avec tous ses attributs phalliques : un style, une absence de liens et d'histoire, un bateau rapide, une attitude et des allures d'homme. Et un regard. Chacun le recherche. Les hommes comme les femmes. Les enfants. Vis à vis de lui, tous sont dans le désir : désir d'être son ami, désir de le séduire et d'être l'élue, désir de monter dans son bateau.

Il devient le "repère" du petit groupe en vacances. Il est aussitôt recherché par Sara. Quand il posera son regard sur elle, elle aura aussitôt la certitude de son existence de femme. Quand il la désirera, elle sera rassurée sur sa féminité. Il est un moment le représentant dans la vie de Sara de l'amour absolu. L'aventure qu'elle vivra quelques instants avec lui la comblera mais ne parviendra pas à dissiper cette autre certitude : l'amour absolu est impossible. Il reste un homme de passage.

La tentation de l'aventure amoureuse dans la torpeur de l'été et des vacances suffira. Elle la guerira de la mélancolie et de l'engourdissement de la torpeur. Tout comme la mère du jeune démineur finit par accepter le deuil et se décide enfin à retourner chez elle. Ainsi, Sara revient à l'amour pour son enfant. Avec son amour pour son enfant, la puissance de la parentèle s'impose et rétablit l'amour pour le père. Elle renonce à suivre "l'homme". Un petit voyage vers un site de la civilisation étrusque, le projet d'aller visiter les petits chevaux de Tarquinia des tombes étrusques devrait réparer le couple de ses blessures. Ce séjour à Tarquinia est une échappée de vacances ennuyeuses et piégées par la torpeur de l'été.

L'espoir de la pluie fraiche est déjà la fin de la torpeur. Les vacances ne sont que vacances de la vie sociales.

Le désir d'amour ne connait pas de vacances.


Extraits

Torpeur d'été

Le fleuve coulait à quelques mètres de la villa, large, décoloré. Le chemin le longeait jusqu'à la mer qui s'étalait huileuse et grise, au loin, dans une brume couleur de lait. La seule chose belle dans cet endroit, c'était le fleuve. L'endroit par lui-même, non. (page 8)

Ainsi, il y avait trois jours de cela, exactement trois jours et une nuit, un jeune homme avait sauté sur une mine, dans la montagne, au-dessus de la villa de Ludi.

C'était le lendemain de l'accident que l'homme qui possédait ce bateau était arrivé à l'hôtel. (page 9)


L'enfant déchiqueté

Ainsi, il y avait trois jours de cela, exactement trois jours et une nuit, un jeune homme avait sauté sur une mine, dans la montagne, au-dessus de la villa de Ludi.

C'était le lendemain de l'accident que l'homme qui possédait ce bateau était arrivé à l'hôtel... (page 9)

Pendant deux jours et trois nuits les parents du démineur avaient rassemblé les débris du corps de leur enfant. Pendant deux jours, ils s'étaient entêtés, croyant toujours qu'il restait encore. Depuis hier seulement ils ne cherchaient plus. Mais ils n'étaient pas encore partis, on ne savait pas très bien pourquoi. Les bals avaient cessé. La commune portait le deuil. On attendait qu'ils s'en aillent. (page 11)


Le désir de Sara

Sara revint sur la plage et se mit sous un parasol pour ne pas perdre la fraîcheur du bain. Et pendant qu'elle était là, à surveiller le petit, l'homme passa au loin dans son bateau. Tout le monde le suivit des yeux. Il décrivit un très grand cercle sur lui-même. Cela dura dix minutes. Un si grand cercle que lorsqu'il atteignit l'horizon il devint un point sur la mer. Puis il revint, grossit progressivement, éteignit son moteur et s'avança lentement et silencieusement au milieu des baigneurs. Il ancra son bateau à une centaine de mètres de la plage et sauta dans la mer


L'amour physique

Ce que je sais, dit Diana, c'est que jusqu'ici je n'ai jamais couché qu'avec des hommes aux idées claires et que ça ne m'a pas réussi. C'est des hommes qui ne savent ni la portée ni la signification de l'amour.

-Qu'est-ce que c'est que la portée et la signification de l'amour ? demanda Sara.

-Mais précisément, comment veux-tu que je le sache ? dit Diana en riant. Elle ajouta : Au fond, tu vois, la littérature, c'est une fatalité comme une autre, on n'en sort pas.

-C'est bien pratique, la fatalité, dit Sara.

-Mais on peut parler quand même dit Diana.....-Quand même, c'est vrai l'intelligence, chez moi, c'est une fixation comme une autre, dit Diana. (page 73)

Il lui prit le bras.

-Tu as envie de me tromper, non ?

-Comme toi, dit Sara.

Il fumait sa cigarette dans le noir, et de l'autre main, il la tenait contre lui....

-Pourquoi tu me le dis, que tu as envie de me tromper ?

-Je ne sais pas, dit Sara, de temps en temps j'ai envie de te dire la vérité. (page 113)


Tarquinia

-Excusez-moi, dit l'homme à Jacques, mais il y a aussi que je vais au bal de l'autre côté du fleuve... (page 209)

Jacques arriva avant le retour du passeur...

-Bonsoir, dit-il...

-Tu attends le passeur ?

-Non, je n'attends pas le passeur (page 216)

-Ce n'est pas si grave, dit-elle. Des vacances que je voulais prendre de toi.

-Je sais. Tu es libre de les prendre....

-Si tu veux, dit-elle, on peut aller à Paestum.

-Si tu veux, dit-il après un temps.

...

dit Jacques. On s'arrêterait à Tarquinia.

Sara reconnaissait mal la voix de Jacques. Il parlait d'un ton harassé.

-C'est une bonne idée Tarquinia, dit Ludi. Vous allez voir ces petits chevaux des tombes étrusques. Ils sont beaux comme je ne sais pas quoi. (page 217)


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