Moderato Cantabile


"Moderato Cantabile" est un ouvrage publié en 1958 alors que la carrière de Marguerite Duras est déjà bien lancée. 1958, c'est également ses premiers essais dans le cinéma, essais qui sont à l'origine de la diversité des activités de l'écrivaine.

Couverture du livre Moderato Cantabile

Personnages

Un professeur de Piano, Mlle Giraud, revêche et obstinée dans sa volonté de faire changer Anne Desbaresdes de mode d’éducation de son enfant. Elle oppose à la mère l’idée qu’il faut imposer sa loi, la loi et la volonté de l’adulte, et cela au risque de l'arbitraire. Enfin Mlle Giraud promet à la mère beaucoup de difficultés avec son enfant si elle ne change pas à cet égard.

L’enfant : il est blond, joueur, solitaire, il aime l’activité du port, les bateaux et leurs mouvements. Il câline sa mère dans une continuelle nécessité d’être rassuré par sa présence, il aime sa mère et sait se conduire avec elle, en "petit homme". Il oppose aux consignes du professeur de piano une obstination sourde et désinvolte. Il n’aime pas les leçons de piano répétitives et ennuyeuses alors qu’il réussit très bien quand il accepte la consigne; il est doué, il est capable d'une interprétation musicale de la sonatine de Diabelli. Il aime la musique qu'il joue et chante l'air avec plaisir. Il est conscient de l'amour de sa mère et il est un complice docile des escapades maternelles.

Desbaresdes est la mère de cet enfant et l’héroïne du roman. Elle s’ennuie à mourir dans son milieu. C'est une jeune femme. Elle traverse la ville tous les vendredis après-midi avec son enfant pour la leçon de piano : elle est autorisée à sortir, semble-t-il, pour cela et depuis peu. La traversée de la ville dans sa partie populaire lui est, socialement, interdite.

Elle aime son enfant dans ses entêtements, ses oppositions farouches à l'autoritarisme du professeur de piano; elle aime cette vie difficile qu'il lui impose, même si (et peut-être surtout) elle ne sait comment s'y prendre pour lui faire aimer ces leçons et lui faire accepter la nécessité d'obéir.

Le meurtre d’une femme, par son amant dans le café d'en face, l’émeut. Et l'intrigue.

Elle veut savoir comment deux amants en sont arrivés là. C'est à partir de sa propre figure de femme, notamment dans sa relation aux hommes, qu'elle tente de comprendre : comment cette femme en est arrivée par amour à demander à son amant de la tuer ?

Chauvin : il est cet homme qui devient le protagoniste d’Anne Desbaresdes.

Il est au comptoir du café quand, le lendemain du meurtre, il aborde Anne Desbaresdes précisément à propos du crime. Ils nouent une relation en vidant verre de vin sur verre de vin et échangent leurs points de vue sur le crime. Très vite les rôles sont partagés. Elle pose des questions. Lui tente d'y répondre.

C’est un ancien ouvrier de l’usine de M. Desbaresdes, libre dans le temps du roman, il s’est révolté contre le mode de vie que lui impose l’usine. Il connaît Mme Anne Desbaresdes. Ils se sont rencontrés lors d’une soirée "patronale" où elle assumait son rôle de femme du patron avec ennui et indifférence pour les ouvriers invités. Depuis cette première rencontre, Chauvin désire Mme Anne Desbaresdes. Peu à peu, au fil des questions à propos du meurtre, l'une et l'autre occupent la "place" des amants dans un relation où le désir sexuel devient une préoccupation principale.

La patronne du café

Elle a une présence particulière; à la fois curieuse et protectrice, voire complice des rencontres entre Chauvin et Anne Desbaresdes; elle est la serveuse des verres de vin qui enivrent peu à peu Mme Anne Desbaresdes.


L'intrigue

Un meurtre dans le café assez simple à élucider : un homme a tué sa maîtresse, meurtre passionnel selon les rubriques journalistiques. Cette élucidation n’est pas celle qui intéresse Mme Anne Desbaresdes.


Analyse du livre

Commentaires

Dès le cri de la femme tuée, et l’arrêt brutal de ce cri, Mme Anne Desbaresdes s'interroge. Le cri n’est pas celui d'une femme qui subit la violence d'un crime. Lorsque, devant la foule, la police procède à l’arrestation de l’assassin, ce dernier est indifférent à la présence de tout ce monde. L’amant tueur a des postures amoureuses à l'égard du cadavre de sa maîtresse. Anne Desbaresdes assiste à une scène d’amour, d’empressement amoureux. Le sang de la bouche de la femme dont l’amant s'est barbouillé par ses baisers évoque inconsciemment à Anne Desbaresdes la passion amoureuse.
Au fil de ses questions à Chauvin, Mme Anne Desbaresdes cherche à élucider non pas le meurtre mais la passion amoureuse, celle qui a amené les amants à prendre la décision du crime.

Peu à peu il ne s'agit plus du meurtre mais de quelque chose qui ne se dit pas, qui jamais n'est défini, qui s'élabore dans l'évolution de la relation entre Chauvin et Mme Anne Desbaresdes : le désir qu'ils ont l'un de l'autre, le désir sexuel et la question de son accomplissement, de son aboutissement, de la jouissance, comme dépossession de l'être, comme perte de soi. La jouissance lui fait peur même si elle veut la "connaître".

La jouissance est peut-être comme l'ivresse due à la consommation itérative et inhabituelle, pour Anne Desbaresdes, de vin rouge. Ou quelque chose qui lui ressemble, qui lui fait pressentir le plaisir et la perte de soi. Et peut-être plus que la perte ? Comme si l’acte sexuel et l’acte de mourir des mains de son amant étaient au fond la même chose. Les questions et les réponses ne lui suffisent plus, Anne Desbaresdes demande à Chauvin de témoigner de la vie du couple. Voire de faire comme s'il était l'amant. Elle finit ainsi par amener Chauvin, vis à vis d'elle, dans la même disposition : passer à l’acte. Mais de quel acte ?

A la dernière page Chauvin dit : "Je voudrais que vous soyez morte.", elle répond : "C’est fait." !

Chauvin connaissait donc Mme Anne Desbaresdes. Il avait, pour elle, une fascination d’homme du peuple à l'égard d’une femme riche, libre (les seins nus, la fleur entre les seins,..) et il connaît très bien sa maison : il évoque cet intérieur avec la précision maniaque d’un amant qui a déjà visité les lieux et s’apprête à les re-visiter.

Mme Anne Desbaresdes est, vis à vis de Chauvin qui se confond de plus en plus avec l'amant assassin, dans une disposition qu'elle prête à la victime : une proie sexuelle pour un homme ! Elle est hypnotisée par le mystère du désir de l’homme, par celui du désir de la femme qui s’y soumet, qui y succombe pour finir et, qui, pour cela l’appelle de ses vœux. Elle est dans une peur hypnotique de ce que les deux désirs, quand ils s'accordent, ont de dangereux. La mort, peut-être ?

Enfin, le mystère de la jouissance féminine lui fait peur. Seule l'ivresse par le vin rouge lui permet peu à peu d'en concevoir l'idée et d'en tenter l'approche pour, à la fin, y renoncer. Le cri de la femme tuée prend alors tout son sens : jouissance et dépossession, confondues avec la mise à mort. Chauvin rôde autour de la maison d'Anne Desbaresdes. Elle le sait et sait pourquoi. Elle est la raison de cette approche et de cette attente, elle est la proie d’un homme qui est dans le désir d’elle, désir très animal, un désir d’instinct d’homme, désir d’homme qui l'investit femme en marge de sa société.


Le désir d'un homme est devenu instinct de meurtre.

L’ivresse du vin désinhibe, elle ressemble, mais elle ne fait hélas que ressembler, à la jouissance qui fait si peur. Mme Anne Desbaresdes finit par friper la fleur mise entre ses seins que Chauvin, dans son instinct d’homme qui désire une femme, avait bien repérée et dont il avait bien mesuré le sens métaphorique. Elle renonce au désir de l'homme et à la jouissance, comme défaite mortelle, donc impossible. Alors que Chauvin pénètre dans le parc et la maison en pleine nuit, Mme Anne Desbaresdes fait le choix de la chambre de son enfant et vomit le vin de l'ivresse. L’homme qui rôdait est condamné à retourner à la ville et à la nuit.

L’attouchement des mains comme des lèvres en guise de baiser le lendemain sont ceux de deux êtres morts. De deux cadavres.


Extraits

La leçon de piano

Veux-tu lire ce qu'il d'écrit au-dessus de ta partition ? demanda la dame.

- Moderato cantabile, dit l'enfant.

La dame ponctua cette réponse d'un coup de crayon sur le clavier. L'enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition.

- Et qu'est-ce que ça veut dire, moderato cantabile ?

- Je ne sais pas.

Une femme, assise à trois mètres de là, soupira.

- Tu es sûr de ne pas savoir ce que ça veut dire, moderato cantabile ? reprit la dame.

L'enfant ne répondit pas. La dame poussa un cri d'impuissance étouffé, tout en frappant de nouveau le clavier de son crayon. Pas un cil de l'enfant ne bougea. La dame se retourna.

-Madame Desbaresdes, quelle tête vous avez là, dit-elle.

Anne Desbaresdes soupira une nouvelle fois.

-A qui le dites-vous, dit-elle.

L'enfant, immobile, les yeux baissés, fut seul à se souvenir que le soir venait d'éclater. Il en frémit.

-Je te l'ai dit la dernière fois, je te l'ai dit l'avant-dernière fois, je te l'ai dit cent fois, tu es sûr de ne pas le savoir ? (page 7)


Le verre de vin

Elle alla droit au comptoir. Seul un homme y était, qui lisait le journal.

- Un verre de vin, demanda-t-elle. Sa voix tremblait.

La patronne s'étonna, puis se ressaisit...

- Il fait beau, dit la patronne.

Elle vit que cette femme tremblait, évita de la regarder

- J'avais soif, dit Anne Desbaresdes.

- Les premières chaleurs, c'est pourquoi.

Tête raphaélique éclatant de Dali

- Et même je vous demanderai un autre verre de vin. (page 17 et 18)


L'enfant, sa présence

-Lève la tête, dit Anne Desbaresdes, Regarde-moi.

L'enfant leva la tête et bâilla face à elle. L'intérieur de sa bouche s'emplit de la dernière lueur du couchant. L'étonnement de Anne Desbaresdes, quand elle regardait cet enfant, était toujours égal à lui-même depuis le premier jour. Mais ce soir-là sans doute crut-elle cet étonnement comme à lui-même renouvelé. (page 26)

L'enfant poussa la grille, son petit cartable bringuebalant sur son dos, puis il s'arrêta sur le seuil du parc. Il inspecta les pelouses autour de lui, marcha lentement, sur la pointe des pieds, attentif, on ne sait jamais, aux oiseaux qu'il aurait fait fuir en avançant. Justement, un oiseau s'envola. L'enfant le suivit des yeux... , puis il continua son chemin jusqu'au-dessous d'une certaine fenêtre,...

Il leva la tête. A cette fenêtre, à cette heure-là de la journée, toujours on lui souriait. On lui sourit. (page 27)


L'appel, en vain

-Parfois encore, c'est l'été et il y a quelques promeneurs sur le boulevard. Le samedi soir surtout, parce que sans doute les gens ne savent que faire d'eux-mêmes dans cette ville.

-Sans doute, dit Chauvin. Surtout des hommes. De ce couloir, ou de votre jardin, ou de votre chambre, vous les regardez souvent.

Anne Desbaresdes se pencha et lui dit enfin.

-Je crois, en effet, que je les ai souvent regardés, soit du couloir, soit de ma chambre, lorsque certains soirs je ne sais quoi faire de moi.

Chauvin proféra un mot à voix basse. Le regard d'Anne Desbaresdes s'évanouit lentement sous l'insulte,... (page 60)


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